Dans les derniers jours de 1948, le Premier ministre Ben Gourion a coupé les jarrets de son général Ygal Allon, qui voulait encercler les troupes égyptiennes à Gaza et les y contraindre à la capitulation.

 

Le cessez-le-feu israélo-égyptien créait une « bande » de 360 km2, où deux cent mille réfugiés palestiniens cohabitaient avec quatre vingt mille résidents du territoire.

A la différence de la Jordanie, qui annexa promptement la Cisjordanie (et Jérusalem-Est), l’Egypte refusa toute souveraineté formelle sur la bande de Gaza.

Ben Gourion comprit vite le risque de laisser se développer à la frontière sud-ouest d’Israël un foyer de nationalisme palestinien, à la population composée jusqu’à ce jour de deux tiers de réfugiés. En 1949, le chef du gouvernement israélien proposait en vain à l’ONU d’annexer la bande de Gaza, en contrepartie d’une réinstallation des réfugiés sur le territoire d’Israël.

Depuis lors, les dirigeants israéliens ont tout essayé pour « régler » à leur avantage le « problème » de Gaza, sans pour autant prendre en compte les aspirations légitimes des habitants de Gaza. Il y eut quatre mois d’une occupation terrible de la bande de Gaza par Israël, de novembre 1956 à mars 1957, avec un millier de Palestiniens tués (sur 300.000 habitants).

Israël s’était déjà donné pour mission d’éliminer les « terroristes » de la bande de Gaza. Le territoire devint au contraire la matrice de la guérilla palestinienne, puis de l’Organisation de libération de la Palestine. Après la deuxième occupation de juin 1967, Moshé Dayan, ministre de la Défense, abolit la frontière entre Israël, d’une part, Gaza et la Cisjordanie d’autre part, dans l’espoir de dissoudre le nationalisme palestinien dans le marché israélien.

La bande de Gaza fut pourtant le théâtre d’une résistance armée sans précédent, et sans base arrière, le Sinaï égyptien étant occupé par Israël. Il fallut la reconfiguration brutale des camps de réfugiés de Gaza par Ariel Sharon, à l’été 1971, avec des dizaines de milliers de déplacés, pour vider « l’eau » de la population et neutraliser le « poisson » de la guérilla.

En 1979, Menachem Begin conclut avec Anouar Sadate une paix israélo-égyptienne qui excluait Gaza de son champ d’application. Les autorités d’occupation misaient alors sur la division entre nationalistes et islamistes à Gaza, encourageant les uns pour affaiblir les autres. Ce jeu dangereux favorisa la montée en puissance du Jihad islamique en 1986, puis l’éclatement de la première intifada et la fondation du Hamas en 1987.

Itzhak Rabin est sans doute le seul dirigeant israélien à avoir compris qu’Israël devait apporter une réponse politique, et non une énième riposte militaire, au défi de Gaza. Telle est la dynamique des accords de paix d’Oslo, avec établissement d’une Autorité palestinienne, perçue par l’OLP comme l’embryon d’un Etat souverain. Mais après l’assassinat de Rabin, son successeur Netanyahou n’a eu de cesse de saboter son œuvre.

Ehud Barak, héritier en trompe l’œil de Rabin, s’est révélé incapable de renverser la tendance et de relancer le processus de paix. Ce fut le désastre de la deuxième intifada, avec son enchaînement d’attentats et de bombardements. Sharon, ayant médité les leçons de 1971 comme les expériences de ses prédécesseurs, décida le retrait unilatéral de 2005.

C’était priver la démarche Rabin (« Gaza d’abord ») de la dimension politique qui lui donnait justement tout son sens. Le retrait de Tsahal et le démantèlement des colonies furent dès lors une réussite presque impeccable du point de vue militaire. Mais le coup ainsi porté à la crédibilité d’une Autorité palestinienne déjà très affaiblie fit le jeu du Hamas.

En juin 2007, le mouvement islamiste prit le contrôle de la bande de Gaza qui devint, selon l’expression de Nicolas Sarkozy, « la plus grande prison à ciel ouvert du monde». Certains experts israéliens ne cachèrent pas leur satisfaction de voir la division ainsi consommée entre un « Hamastan » de Gaza et un « Fatahstan » de Cisjordanie.  

Israël conserve le contrôle des frontières terrestres (à l’exception du point de passage de Rafah avec l’Egypte), de l’espace aérien et des eaux territoriales de la bande de Gaza. Il s’agit donc d’une nouvelle forme d’occupation, à distance, qui, dans un premier temps, s’avère moins coûteuse pour Israël (mais demeure d’une violence multiforme pour la population palestinienne).

Le siège imposé d’une main de fer par Israël a généré une activité de contrebande par les tunnels avec l’Egypte dont les effets pervers n’ont pas tardé à se faire sentir : seul le trafic d’armes peut en effet rentabiliser les dispendieux tunnels et, paradoxalement, plus l’Egypte détruit de tunnels, plus les tunnels restants sont consacrés à l’acheminement de matériel militaire depuis le Sinaï, largement contrôlé par les groupes jihadistes.

Israël est donc le premier responsable de la situation explosive ainsi créée à Gaza, où l’absence de perspective économique amène une grande partie de la jeunesse à rejoindre les groupes armés, employeur le plus accueillant du territoire. Le cessez-le-feu conclu entre Israël et le Hamas en novembre 2012, sous l’égide du président égyptien Morsi, a pourtant tenu plus d’un an et demi.

Netanyahou a publiquement accusé le Hamas d’être responsable de l’enlèvement de trois adolescents israéliens dans le sud de la Cisjordanie, le 12 juin dernier. La campagne de ratissages et d’arrestations qui a suivi a ciblé l’appareil du Hamas en Cisjordanie, avec incarcération de centaines de ses cadres, de ses parlementaires et même d’anciens détenus, libérés lors de l’échange avec Gilad Shalit fin 2011.

On connaît la suite : aux raids soi-disant « ciblés » d’Israël sur la bande de Gaza ont répondu les tirs de roquettes palestiniennes. Chacun a évidemment accusé l’autre de porter l’entière responsabilité de la rupture du cessez-le-feu. L’Egypte, où le maréchal Sissi a embastillé son prédécesseur Morsi (accusé, entre autres, de complicité « terroriste » avec le Hamas) est bien incapable d’éviter la montée aux extrêmes.

Depuis bientôt une semaine, une nouvelle guerre ensanglante le Proche-Orient. Pour l’heure, ce sont les civils palestiniens qui en paient le prix fort. Mais on ne peut exclure qu’une roquette moins imprécise que d’autres fasse un carnage en Israël même. Et tout cela pour revenir, dans le meilleur des cas, au statu quo prévalant de novembre 2012 à mai 2014.

Car il n’y pas de solution militaire à Gaza : une « victoire » israélienne contre le Hamas ferait le lit de groupes jihadistes embusqués de l’autre côté de la frontière égyptienne, et exaltés par l’avènement de leur « calife » en Irak. Israël répéterait avec des conséquences encore plus dramatiques l’erreur perpétrée dix ans plus tôt, lorsqu’elle affaiblissait l’Autorité palestinienne au profit du Hamas.

Plonger la bande de Gaza dans une insécurité permanente au nom de la sécurité d’Israël n’est pas seulement une illusion tragique, c’est une faute stratégique. On ne choisit pas ses ennemis, mais c’est avec eux que l’on fait la paix. Et si Israël refuse de traiter avec le Hamas, qu’elle laisse l’Autorité palestinienne le faire.

Sinon le piège de Gaza se refermera sur Israël tout autant que sur les Palestiniens.