Peu avant sa mort, dans ce qui est appelé le Discours sur le mont des Oliviers, Jésus prédit la chute du Second Temple et la désolation qui la suivra sur le mont du Temple. Racontée dans trois évangiles, cette prophétie est devenue une théologie fondatrice pour les premiers chrétiens, qui ont évité le lieu le plus saint de la foi juive quand ils ont créé leurs nouvelles églises.

 

Mais tous ont-ils vraiment déserté le mont du Temple ?

Pendant la dernière décennie, il y a eu de plus en plus de découvertes archéologiques montrant qu’après la destruction du Temple et avant la conquête musulmane de Jérusalem, le mont du Temple a servi de base aux chrétiens byzantins.

Montrées par de rares images de mosaïques byzantines photographiées sous le Mandat britannique en 1937, et publiées seulement en 2008, et par un demi-million de carreaux de mosaïque de la période byzantine découvert depuis 1999 par le Projet de tamisage du mont du Temple, les preuves de la construction de la mosquée Al-Aqsa sur des ruines chrétiennes sont de plus en plus nombreuses.

Dans une résolution de l’UNESCO sur la « Palestine occupée », les lieux saints de Jérusalem ne sont cependant nommés que par leur intitulé musulman, ignorant les relations historiques des juifs et des chrétiens à la ville. Votée en commission à Paris le 13 octobre 2016, elle a été approuvée par 24 votes contre six, avec 26 abstentions.

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Sans surprise, beaucoup des pays qui ont voté pour la résolution sont musulmans. Mais plusieurs états traditionnellement chrétiens ont également voté en faveur de la résolution, et plus encore se sont abstenus, donnant en essence un soutien tacite à la notion qu’Al-Haram Al-Sharif, le mont du Temple dans la tradition judéo-chrétienne, ne concerne que les musulmans.

Avant l’approbation programmée a priori mardi de la résolution par le Conseil exécutif de l’UNESCO, le Times of Israël explore les racines chrétiennes du mont du Temple.

Les données historiques courantes

En 335 de l’ère commune, l’empereur Constantin, le premier empereur romain à se convertir au christianisme, a inauguré l’église du Saint-Sépulcre dans le cadre de la reconstruction d’une Jérusalem chrétienne. Le centre du christianisme florissant reste à l’extérieur du mont du Temple.

Une mosaïque de l'époque byzantine découverte sous le niveau de la mosquée omeyyade du Dôme du Rocher en 1937 par R.K. Hamilton, directeur du département des antiquités du Mandat britannique. (Crédit : archives des Autorités israéliennes des Antiquités)

Une mosaïque de l’époque byzantine découverte sous le niveau de la mosquée omeyyade du Dôme du Rocher en 1937 par R.K. Hamilton, directeur du département des antiquités du Mandat britannique. (Crédit : archives des Autorités israéliennes des Antiquités)

Il existe de plus en plus d’indications que tous ne se sont pas sentis contraints par la prophétie de Jésus de Marc 13:2 : « on ne laissera ici pierre sur pierre qui ne soit défaite ».

Cependant, l’utilisation chrétienne du mont du Temple n’est pas documentée dans les journaux de voyage des pèlerins de cette époque, comme Gaul de Bordeaux en 333, ou même la célèbre carte de Madaba, une partie d’une mosaïque de plancher dans la précoce église byzantine de Saint-Georges à Madaba, en Jordanie. Datée du 6e siècle, la carte décrit la plus vieille étude cartographique découverte de la Terre Sainte.

Yvonne Friedman, professeur d’Histoire à l’université Bar-Ilan, a déclaré au Times of Israël que les chrétiens byzantins de Jérusalem « voyaient le mont du Temple comme un centre juif. Il avait été détruit et devait rester ainsi, pour prouver la véracité de la prophétie de Jésus. »

Friedman n’exclut cependant pas totalement l’existence d’églises sur le mont du Temple pendant la période byzantine.

La carte de Madaba décrit la Jérusalem historique. Elle fait partie d'une mosaïque au sol dans l'Eglise byzantine précoce de Saint-Georges de Madaba, en Jordanie. (Crédit : domaine public/Wikipedia)

La carte de Madaba décrit la Jérusalem historique. Elle fait partie d’une mosaïque au sol dans l’Eglise byzantine précoce de Saint-Georges de Madaba, en Jordanie. (Crédit : domaine public/Wikipedia)

« Je pense qu’il y a dû y avoir quelques églises [sur le mont du Temple], mais le principal centre alternatif était l’église du Saint-Sépulcre », a déclaré Friedman. Cela a changé, a-t-elle dit, pendant la période des Croisades, quand les guerriers saints, qui se percevaient comme « les héritiers de l’Israël biblique », ont conquis le mont du Temple et transformé les mosquées qui y étaient en église et, temporairement, en base politique. »

Selon Joshua Schwartz, professeur de géographie historique de l’Israël antique à l’université Bar-Ilan, une construction chrétienne organisée sur le mont du Temple est « peu probable ».

« Les Pères de l’Eglise et la carte de Madaba décrivent le mont du Temple comme une décharge, comme une preuve de la défaite du judaïsme » Joshua Schwartz, professeur à Bar-Ilan

« Les Pères de l’Eglise et la carte de Madaba décrivent le mont du Temple comme une décharge, comme une preuve de la défaite du judaïsme. Nombre de sources byzantines expliquent que les juifs étaient autorisés à monter sur le mont du Temple à Tisha BeAv pour le deuil. Certains universitaires ont affirmé que cela était organisé par le clergé chrétien », a déclaré Schwartz au Times of Israël.

« Je ne connais aucune église chrétienne sur le mont du Temple pendant l’époque byzantine. Le fait que le projet de tamisage ait trouvé du matériel chrétien, qui à mon avis est probablement croisé, ou byzantin après usage par les Croisés, ou byzantin venu d’églises byzantines dans Jérusalem (qui en comptait bien sûr beaucoup). Les Croisés adoraient transporter des choses », a déclaré Schwartz.

Il serait cependant difficile de déplacer un sol en mosaïque byzantine. Documentée par l’archéologue britannique R. K. Hamilton pendant une rare fouille archéologique au Dôme du Rocher à la fin des années 1930, son existence n’a été mise en lumière qu’en 2008, quand Zachi Dvira (Zweig), archéologue du projet de tamisage du mont du temple, a découvert et publié les photos d’Hamilton.

Dévoiler une couverture ?

Riche en troubles historiques et politiques, le mont du Temple a rarement été fouillé. L’un des rares exemples d’une étude archéologique professionnelle a eu lieu dans les années 1930, après un tremblement de terre.

Entre 1938 et 1942, il y a eu d’importants travaux de rénovation d’Al-Aqsa, après deux séismes en 1927 et 1937.

Un sol de l'époque byzantine photographié par R.K. Hamilton,  directeur du département des antiquités du Mandat britannique, pendant une rare fouille d'Al-Aqsa à la fin des années 1930. (Crédit : archives des Autorités israéliennes des Antiquités)

Un sol de l’époque byzantine photographié par R.K. Hamilton,  directeur du département des antiquités du Mandat britannique, pendant une rare fouille d’Al-Aqsa à la fin des années 1930. (Crédit : archives des Autorités israéliennes des Antiquités)

Selon l’archéologue Dvira, pendant le Mandat britannique, la coopération entre les superviseurs archéologiques du gouvernement et le Waqf islamique était à son apogée. En conséquence, il y a eu deux fouilles archéologiques menées par les autorités britanniques des antiquités, accompagnées de nombreuses photographies.

Hamilton, directeur du département des antiquités du Mandat britannique, a publié une partie de ses résultats en 1949. Mais, après s’être plongé dans les archives photographiques d’Hamilton, Dvira a découvert que la plupart avaient été laissées de côté, particulièrement tout ce qui avait une connexion juive ou chrétienne, notamment les bains rituels ou la mosaïque byzantine au sol.

Le sol en mosaïque a été découvert dans une zone qui est située en dessous et à l’extérieur de la façade nord de la mosquée omeyyade. « A partir de cela, l’on peut supposer que le sol en mosaïque précède la mosquée omeyyade », a écrit Dvira en 2008 [lien en hébreu].

« Les motifs présents sur ces mosaïques qui ont survécu sont des motifs fréquents de la période byzantine », a écrit Dvira, et sont similaires à ceux retrouvés dans l’église de la Nativité à Bethléem, qui a été commandée par Constantin en 327, et achevée en 339.

Dans un article publié en 2010 [lien en hébreu], Dvira sous-entend que les relations politiques étroites entre Hamilton et le Waqf n’ont pas permis à l’archéologue de publier les découvertes qui précédaient la conquête musulmane de Jérusalem.

Une mosaïque de l'époque byzantine photographiée par R.K. Hamilton,  directeur du département des antiquités du Mandat britannique, pendant une rare fouille d'Al-Aqsa à la fin des années 1930. (Crédit : archives des Autorités israéliennes des Antiquités)

Une mosaïque de l’époque byzantine photographiée par R.K. Hamilton,  directeur du département des antiquités du Mandat britannique, pendant une rare fouille d’Al-Aqsa à la fin des années 1930. (Crédit : archives des Autorités israéliennes des Antiquités)

D’abord, a déclaré Dvira, le fait même qu’une fouille archéologique ait eu lieu sur le mont du Temple mérite d’être salué. Cependant, cela a un prix, qui était dans ce cas une sorte d’auto-censure universitaire dirigée par la politique.

Zachi Dvira (autorisation)

Zachi Dvira (autorisation)

Consternant tout autant les politiques et les archéologues israéliens, la résolution de l’UNESCO fait écho à la décision d’Hamilton de ne pas publier ses découvertes juives et chrétiennes.

Cependant, a déclaré Dvira, le Dôme du Rocher a été construit à cet endroit parce qu’il était autrefois l’emplacement du Temple de Salomon, a déclaré l’archéologue exaspéré.

Dvira a déclaré que la résolution de l’UNESCO était sortie, de manière absurde, précisément parce qu’Israël avait récemment été proactif dans l’application de la Loi sur les antiquités, qui exige une supervision archéologique pendant les projets de construction, y compris les travaux de restauration sur le mont du Temple.

« C’est tellement ridicule qu’ils [les partisans majoritairement musulmans de la résolution] changent leur narratif : je ne comprends pas comment il est possible de s’éloigner à ce point de la vérité et de l’Histoire », a déclaré Dvira.

De cendre en cendre, de la poussière à la découverte

Le projet de tamisage du mont du Temple de Dvira a été lancé en 1999, quand la Branche nord du Mouvement islamique, qui avait mené des travaux de rénovation non autorisés, et par conséquent illégaux, sur le mont du Temple, s’était débarrassé de plus de 9 000 tonnes de terre mélangée à ce que le projet appelle « des artefacts archéologiques inestimables » dans la vallée de Kidron.

Sauver les artefacts jetés pendant la rénovation non supervisée des Etables de Salomon sur le mont du Temple en 1999 a été la genèse du projet de tamisage du mont du Temple. (Crédit : projet de tamisage du mont du Temple)

Sauver les artefacts jetés pendant la rénovation non supervisée des Etables de Salomon sur le mont du Temple en 1999 a été la genèse du projet de tamisage du mont du Temple. (Crédit : projet de tamisage du mont du Temple)

Le projet a commencé lorsque le Dr Gabriel Barkay et Dvira ont récupéré les centaines de charges de camion de terre, qui ont depuis été examinées à la recherche d’artefacts dans le parc national de la vallée de Tzurim, adjacent au mont des Oliviers. Pour un faible coût, des bénévoles peuvent passer deux heures à participer au projet, qui est financé par la Fondation de la Ville de David.

Dvira s’est déclaré convaincu de l’existence d’une présence chrétienne byzantine sur le mont du Temple, à la fois par les photographies d’Hamilton, et par « la découverte de plus en plus d’artefacts de la période byzantine. » Il a annoncé que le projet, qui lève de l’argent pour publier ses découvertes, a trouvé environ un demi-million de pièces de mosaïques au fil des ans.

Des bénévoles du projet de tamisage du mont du Temple tentent de découvrir des artefacts historiques. (Crédit : projet de tamisage du mont du Temple)

Des bénévoles du projet de tamisage du mont du Temple tentent de découvrir des artefacts historiques. (Crédit : projet de tamisage du mont du Temple)

« Il est possible qu’une église ait été construite là-bas », a-t-il déclaré. Ce qui est certain, c’est qu’en plus du large usage du mont du Temple pendant les Croisades, illustré par les découvertes par le projet de clous de fer à cheval et de rares pièces croisées, il y avait également des constructions chrétiennes à une certaine échelle avant la conquête musulmane.

« Le mont du Temple est également l’héritage des chrétiens, cela ne fait aucun doute », a déclaré Dvira au Times of Israël.

Le Dôme du Rocher, sur le mont du Temple, dans la Vieille Ville de Jérusalem, devant le mont des Oliviers, le 29 septembre 2015. (Crédit : Hadas Parush/Flash90)

Le Dôme du Rocher, sur le mont du Temple, dans la Vieille Ville de Jérusalem, devant le mont des Oliviers, le 29 septembre 2015. (Crédit : Hadas Parush/Flash90)