Une immigrante française en Israël de longue date a été interrogée cette semaine sur ce qu’elle pensait de la victoire du Front national de Marine Le Pen au premier tour des élections régionales dimanche.

Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l'info   INSCRIPTION GRATUITE!

Perplexe, elle a répondu que, bien que personne qu’elle connaisse n’admettrait voter pour Le Pen, beaucoup de juifs français l’ont fait. Et, pointant les années de persécution que sa famille et ses amis ont vécu dans les banlieues de Paris, elle a demandé : « Pouvez-vous les blâmer ? ».

La confluence d’une décennie d’attaques contre les Juifs en France, les attaques terroristes en novembre sur plusieurs fronts et le chômage endémique a créé une hausse du nombre d’électeurs inattendus mais réceptifs au slogan nationaliste « La France aux Français » de Le Pen – les juifs.

Le Front national a bénéficié d’environ six millions de voix au premier tour aux élections régionales de dimanche, cette victoire serait-elle une grande tempête politique ou l’annonce de l’arrivée d’une nouvelle ère dans la démocratie française ? Une chose est sure, la France s’est réveillée le 7 décembre face une réalité tri-partisane.

Et aujourd’hui, même si c’est encore généralement considéré comme un tabou dans la communauté juive, une minorité juive croissante vote pour le parti fondé en 1984 par Jean-Marie Le Pen, un négationniste antisémite reconnu coupable de racisme et d’incitation à la haine à six reprises.

Avant le second tour des élections le 13 décembre, le parti anti-immigration de Marine Le Pen semble être prêt à prendre le contrôle de six des treize régions du pays, nouvellement re-divisées, selon The Guardian.

Dimanche, le Front national a recueilli près de 28 % du vote national – quelque 17 points de plus qu’aux élections régionales de 2010 – et la victoire préliminaire de cette semaine survient après les élections pour le Parlement européen de 2014, qui ont vu le Front national obtenir 21 %, et après les départementales de 2015 où il a recueilli 22% des voix.

De plus en plus, certains juifs – après avoir passé des années à être sur la ligne de front de la guerre de la France contre le terrorisme – votent pour le parti qui aurait la position la plus dure en matière de sécurité.

Pour eux, après avoir vécu dans les banlieues des grandes villes, subi des insultes antisémites et même des attaques physiques de leurs voisins immigrés majoritairement musulmans, la position xénophobe du parti semble les attirer.

Et au milieu des cris de désespoir de la majorité de la communauté juive française (y compris son grand rabbin cette semaine), certains membres de la communauté juive marchent tranquillement avec le reste de la population française et montrent leur soutien au Front national dans les urnes.

« Même s’il essaie de prétendre aujourd’hui être un autre parti, il n’a pas changé, »

Sacha Reingewirtz

Un appel juif à agir

Le paysage politique ressent déjà les répliques du premier tour de dimanche alors que les socialistes, menés par Manuel Valls, qui a qualifié le Front national d’ « antisémite et raciste », se retirent dans au moins deux des élections régionales pour augmenter les chances des républicains (droite), menés par Sarkozy, qui a jugé que « le vote pour le Front national n’est pas un vote contre la République, que le vote pour la République n’est pas immoral, » selon le Figaro.

Sacha Reingewirtz (Crédit : autorisation)

Sacha Reingewirtz (Crédit : autorisation)

Selon Sacha Reingewirtz, président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), se retirer, c’est la réaction responsable à avoir.

Entre des réunions stratégiques et des appels téléphoniques urgents lundi, Reingewirtz s’est moqué de la possibilité d’une victoire décisive du Front national avant la semaine prochaine.

« Le Front national ne prendra pas la moitié des régions, il peut même n’en prendre aucune », a déclaré Reingewirtz au Times of Israel.

L’UEJF, qui existe depuis 29 ans, mène une contre-campagne dans laquelle les militants étudiants font équipe avec des ONG de défense des droits de l’Homme pour faire passer le message : une hausse du Front national mènera au « chaos civil et à des troubles », et va « libérer le discours raciste » et permettre de créer de nouvelles lois isolationnistes.

Les étudiants de l’UEJF cherchent à convaincre les électeurs que même si Marine Le Pen a répudié son père, Jean-Marie Le Pen, et l’a exclu du parti, « le Front National a des origines racistes très profondes ». Et ceux qui ont été récemment élu aux conseils municipaux et aux élections départementales suivent ce chemin, a mis en garde Reingewirtz.

L’UEJF a formé des groupes de surveillance dans chacune des villes qui ont élu des politiciens du Front national au cours des dernières élections. Les résultats ne sont guère réjouissants, a-t-il souligné.

Guershon Nduwa (Fédération juive et noire de France)

Guershon Nduwa (Fédération juive et noire de France)

« Même s’il essaie de prétendre, aujourd’hui, être un autre parti, il n’a pas changé », a déclaré Reingewirtz.

Il a ajouté que si le Front national exerçait un pouvoir politique plus important, « bien sûr qu’il sera un danger énorme pour les juifs en France ».

« Les juifs quitteront la France si le Front national gagnera en puissance », a averti Reingewirtz.

Quant à savoir pourquoi certains juifs soutiennent le parti, il a expliqué que pour de nombreux juifs français qui ont été expulsés du Maghreb (environ 70 % de la communauté juive est d’origine sépharade), leurs expériences traumatisantes, ainsi que le fait d’être de plus en plus visés par le terrorisme, influencent leur vote.

Le président de la communauté juive noire de Paris, Guershon Nduwa, est d’accord, dans une conversation avec le Times of Israël lundi. « Ils se connaissent [de la Tunisie, de l’Algérie et du Maroc], et la situation n’a pas été bonne pour eux là-bas ». Maintenant, avec les deux communautés qui se rencontrent à nouveau en France, beaucoup de ces Juifs ont une tendance à être xénophobes et des électeurs naturels du Front national, a déclaré Nduwa.

Ce n’est pas la manière juive, a déclaré Reingewirtz.

« Je le regrette profondément parce que je pense que le Front national est très opposé aux valeurs juives à bien des égards. Le judaïsme nous dit de nous rappeler que nous étions des étrangers dans un pays étranger. C’est à l’opposé du Front national », a déclaré Reingewirtz.

Suite aux résultats de dimanche dernier et au faible taux de participation des électeurs (un peu plus de 50 %), le Grand Rabbin Haim Korsia a appelé ses fidèles à « un sursaut civique » et à aller voter dimanche prochain.

« Voter est un droit civique ainsi qu’un devoir civique. Par conséquent, je demande une plus grande mobilisation pour le second tour le 13 décembre, afin de soutenir la démocratie, choisir le vivre-ensemble et assurer la cohésion nationale, particulièrement en ces temps troubles que la nation connaît actuellement », a déclaré Korsia dans un communiqué.

Capture d’écran : Haïm Korsia sur le plateau du Grand Journal

Capture d’écran : Haïm Korsia sur le plateau du Grand Journal

« Nous devons défendre nos valeurs et rejeter totalement ceux qui se lèvent les uns contre les autres, qui font campagne pour l’isolement et l’exclusion, parce que l’histoire nous a toujours enseigné que la haine et le rejet, d’où qu’ils viennent, feront un jour de nous des victimes, a déclaré Korsia. « Tandis que nous célébrons Hanoukka – la fête des lumières – je souhaite que les lumières que nous allumons chaque soir de cette semaine chassent l’obscurantisme. »

Les vote(s) juif(s)

Les juifs de France représentent moins d’1 % de l’électorat français. Fort d’un demi-million de voix, le « vote juif » unifié n’existe pas.

Cependant, selon une étude de l’institut de sondage IFOP sur les schémas du vote juif, depuis le milieu des années 1990 il y aurait eu un décalage graduel vers la droite.

Depuis le début de la deuxième intifada, ce penchant vers la droite s’est accentué, et pour l’élection présidentielle de 2007, environ la moitié des juifs français auraient voté pour Nicolas Sarkozy, soit 14,5 % de plus que la moyenne nationale.

Pendant ces mêmes élections de 2007, seulement 4 % d’entre eux auraient voté pour Jean-Marie Le Pen, ce qui était 6 % en-dessous de la moyenne nationale.

French President Nicolas Sarkozy in Jerusalem in 2008 (photo credit: Olivier Fitoussi /Flash90)

Nicolas Sarkozy à Jerusalem en 2008 (Crédit : Olivier Fitoussi /Flash90)

Pendant les récentes élections présidentielles de 2012, 45 % des juifs français auraient voté pour Nicolas Sarkozy (18 % de plus que la moyenne nationale) et 22,5 % pour l’actuel président, François Hollande, qui a gagné avec une moyenne nationale de 28 %. Marine Le Pen, candidate en tant que chef du Front national pour la première fois, aurait rassemblé 13,5 % du vote juif (4,5 % sous la moyenne nationale).

Au téléphone avec le Times of Israel lundi, le consultant en politique et relations publiques expérimenté David Khalfa a déclaré qu’il s’attend à ce que Marine Le Pen rassemble un nombre marginal mais croissant de votes juifs dans les prochaines élections présidentielles de 2017.

Se fondant sur la tendance donnée par les chiffres de l’IFOP, Khalfa dit qu’il semble logique que le nombre d’électeurs de Marine Le Pen au sein de la communauté juive française se rapprochent de la moyenne nationale (17,9 %), « probablement entre 13 et 18 % ».

Le consultant politique juif parisien David Khalfa (Autorisation)

Le consultant politique juif parisien David Khalfa (Autorisation)

Il a rappelé qu’il n’y avait pas de « vote juif » monolithique, en France l’on peut plutôt parler des votes juifs, dans lesquels aux dernières élections un quart a voté pour la gauche et une majorité pour un gouvernement de ventre droit.

Mais depuis 2000 et le début de la deuxième intifada, une vague croissante d’antisémitisme a frappé les juifs français et leurs sentiments pour la gauche de Lionel Jospin n’ont pas accroché avec la triste réalité, les menant à voter de plus en plus pour la droite, avec une minorité marginale votant pour l’extrême-droite.

Récemment, dit-il, cette minorité est devenue moins marginale puisque le vote pour l’extrême-droite s’est accru significativement, de 4 % en 2002 à 13,5 % en 2012.

En février 2015, Roger Cukierman, président du CRIF, avait déclaré que Marine Le Pen était « irréprochable personnellement » et que le Front national n’était plus un parti de violence. (Dans un communiqué mardi, cependant, le CRIF a exhorté les juifs à voter pour bloquer le Front national, qu’il a décrit comme « un parti populiste et xénophobe »).