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DE LA DIFFICULTE D'ÊTRE MUSULMAN EN FRANCE

 

Source : liberation.fr en ligne le lundi 30 septembre 2014

 

 

 

 

Il n’est pas facile d’être arabe

 

 

 

Leurs arguments semblent, a priori, irrécusables. Croyants ou incroyants, lorsque des musulmans d’Europe rétorquent à ceux qui les pressent de se démarquer des jihadistes que non, ils n’ont pas plus à le faire que n’importe quel autre citoyen, que la République ne peut pas leur demander à la fois d’être des individus, français et uniquement français sur la scène publique, et de se comporter en garants moraux d’une supposée communauté à laquelle ils ne sentent pas d’appartenance, lorsqu’ils s’indignent qu’on les appelle à condamner une violence qu’on les soupçonne ainsi d’approuver, on ne peut que comprendre et respecter cette position et le refus qui en découle.

On devrait même s’en féliciter car il y a, là, la meilleure des réponses non seulement au pur et simple racisme mais à également à sa forme tempérée et tellement plus répandue qui fait voir un autre dans tout Arabe, différent, insaisissable et «pas comme nous».

Nous sommes comme vous, disent au contraire ces musulmans d’Europe qui ne veulent plus être regardés comme une catégorie à part mais, avant tout, comme français, allemands ou autres. Nous ne voulons pas, protestent-ils, être réduits ou même renvoyés à une identité religieuse qui n’est, de surcroît, pas forcément la nôtre car un musulman peut tout aussi bien s’éloigner de la foi de ses ancêtres qu’un chrétien ou un juif. Quand finira-t-on par voir, demandent-ils en un mot à la communauté nationale, que l’intégration marche malgré ses ratés ; que le bureau de poste, l’entreprise, l’hôpital, l’école, l’armée, cette armée française déployée contre les jihadistes, en sont depuis longtemps la preuve ; que nous sommes d’abord français et que nous le prouvons à nouveau en refusant de prendre quelque position que ce soit en tant qu’Arabes ?

Ils ont raison. On ne pourrait pas être républicain sans les applaudir mais le problème est que les têtes pensantes de cet Etat islamique, qui n’est pas plus Etat qu’islamique, se sont arrogé le droit de parler au nom de l’islam et de semer la terreur et la mort en son nom, que c’est en tant que musulmans qu’ils menacent l’Europe des pires flots de sang et que leurs mises en scène de l’horreur, surtout, n’ont d’autre but que d’isoler les musulmans d’Europe.

Ce que voudrait l’Etat islamique, c’est que l’Europe commence à voir ses musulmans comme une cinquième colonne, qu’elle finisse par les traiter comme les Etats-Unis avaient traité leurs Japonais après Pearl Harbor, que cela nourrisse, bien sûr, tensions et ressentiments et que se réalise par là l’éternel rêve des jihadistes - cette guerre entre l’islam et la chrétienté dont Oussama ben Laden, déjà, ne doutait pas que la vraie foi en sortirait gagnante car l’Europe serait trop riche et trop dépravée pour encore savoir combattre.

Le 11 Septembre n’avait pas d’autre objectif et que se passerait-il, demain, si d’aussi terribles attentats se produisaient en Europe ?

On ne pourrait alors pas exclure que l’Europe devienne aussi folle que les Etats-Unis l’étaient devenus après avoir été frappés sur leur sol. Il serait presque inévitable qu’elle tombe à son tour dans ce piège et c’est là qu’on touche aux limites de ce si compréhensible refus de ces musulmans d’Europe, intellectuels de renoms ou citoyens anonymes, qui ne veulent pas être regardés comme avant tout musulmans.

On n’aime pas le dire tant c’est injuste et même aberrant, tant c’est totalement contraire à tous les principes à défendre, mais ils n’ont en réalité pas le choix. Ils ne l’ont plus guère parce que les jihadistes s’emploient à les instrumentaliser en recrutant des bombes à retardement dans l’islam d’Europe, parce que des braises couvent, qu’il y a urgence et que c’est un désaveu massif de l’Etat islamique par les musulmans d’Europe qui porterait le plus de tort politique à ces illuminés et à leurs recruteurs.

Il ne s’agit pas d’avoir à se dire démocrate alors qu’on l’est. Il ne s’agit pas de protester de son innocence alors que l’on n’est coupable de rien. Il s’agit, plus logiquement, de s’engager dans une indispensable bataille politique en disant que ni le colonialisme, ni George Bush, ni le malheur palestinien, ni la passivité des Etats-Unis devant l’emploi d’armes chimiques par le régime syrien - que rien, absolument rien, ne saurait justifier le massacre des yazidis, les égorgements d’otages, la persécution des chrétiens, des chiites et des Kurdes et moins que tout, cette volonté perverse de provoquer une guerre de religion que les jihadistes sont seuls à souhaiter.

Il demeure difficile, ce débat ne le montre que trop, d’être arabe en Europe mais le fait est que ce n’est, aujourd’hui, nulle part facile. Ça ne l’est pas plus au Maghreb qu’au Proche-Orient car, après des siècles de déclin et de colonisation ottomane puis européenne, les mondes arabes s’éveillent et se cherchent dans des déchirements bien trop profonds pour épargner leurs pourtant si lointains enfants d’Europe.

Bernard GUETTA

 



05/10/2014
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