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EN REPOINSE AUX PROPOS DE ROGER CUKIERMAN EN FAVEUR DU FN : MARINE LE PEN N'EST PAS PLUS FREQUENTABLE SON PERE

Source : marianne.net en ligne le jeudi 26 février 2015

 

 

Jean-Yves Camus:

"les Français juifs

tentés par le FN sont myopes"

Propos recueillis par
Kevin Erkeletyan
 
 
 
Le président du Crif, Roger Cukierman, a créé la polémique lundi avant le diner du CRIF en qualifiant Marine Le Pen d'"irréprochable", suscitant des réactions dans toute la classe politique. Politologue et spécialiste de l'extrême droite, Jean-Yves Camus, revient sur les déclarations du président du CRIF et analyse l'évolution du Front National par rapport à une communauté juive, susceptible, elle aussi de prêter l'oreille aux idées du parti de Marine Le Pen.
 
 
Sipa
 
 

Marianne: Sur Europe 1, le président du CRIF, Roger Cukierman a déclaré que Marine Le Pen était « irréprochable ». Des déclarations jugées choquantes par une grande partie de la classe politique. Roger Cukierman a-t-il commis une maladresse ?

Jean-Yves Camus: Il est généralement admis qu’il ne peut pas y avoir de vote juif pour le Front national en raison de l’appartenance de ce parti à l’extrême droite traditionnelle et des déclarations de Jean-Marie Le Pen. Mais, même chez les juifs, des gens votent en oubliant tout ça et prennent d’autres critères en considération: l’opposition à l’immigration, le discours de Jean-Marie Le Pen sur la guerre d’Algérie, la priorité donnée à la lutte contre l’islamisme…  Ils se disent qu’après tout, là où l’UMP n’a pas réussi, le FN pourrait y arriver. Alors moi, je peux estimer à titre personnel que ces gens sont dotés d’œillères extrêmement importantes et qu’ils ne voient pas clair, mais il n’y a en fait aucune raison pour que les votes des juifs soient plus clairvoyants que les votes des non-juifs. Voter pour le FN est une erreur par rapport à leur appartenance, tant pis pour eux. Ces gens là sont myopes. Il n’y a pas de raison pour qu’il n’y en ait pas autant qu’ailleurs dans la communauté juive. Par ailleurs, je ne pense pas que les Français juifs votent en fonction de ce que peut dire le CRIF. 

 

 

Ces déclarations marquent néanmoins l'évolution du discours de la part du représentant d'une organisation communautaire vis à vis de la présidente d'un parti autrefois banni. En quoi le programme du Front National serait-il aujourd'hui préjudiciable à la communauté juive ? 

Roger Cukierman a oublié que Marine Le Pen n’est pas uniquement une personne. Elle n’a effectivement pas les préjugés de son père et n’est, je le pense, ni antisémite, ni négationniste. Mais ça ne veut pas dire, pour autant, qu’il n’y a pas, dans le programme du FN, des points qui, à mon avis, posent des problèmes par rapport aux Français juifs : je ne sais pas ce que Marine Le Pen pense personnellement de la question de l’abattage rituel et de la question du port de la kippa dans l’espace public mais le programme du FN, lui, prévoit leur interdiction. Peu importe ce que pense Marine Le Pen, ce qui importe c’est le programme du parti qu’elle préside. Si ces deux mesures étaient mises en place, les juifs, comme les musulmans, verraient leur quotidien changer : on ne pourrait plus abattre de viande casher en France, il faudrait l’importer. On ne pourrait plus aller au diner du CRIF en partant de chez soi avec sa kippa sur la tête, il faudrait la ranger dans sa poche et ne la mettre sur sa tête qu’une fois rentré dans le bâtiment qui héberge le dîner. Je ne sais pas non plus ce que Marine Le Pen pense des subventions que reçoivent les associations communautaires juives mais je constate qu’il est écrit dans le programme du FN que le Front souhaite en finir avec les subventions que reçoivent les « associations communautaristes ». Et parmi ces associations, le CRIF est clairement visé. Si jamais le FN était au pouvoir, le CRIF ne pourrait peut-être plus exister…

 

 

Le FN a-t-il, aujourd’hui, selon vous, un discours clair sur l’antisémitisme ?

Il reste ambigu. Marine Le Pen a eu assez récemment plusieurs occasions de le clarifier mais ne les a pas saisies. Au mois d’août dernier, Aymeric Chauprade, député européen FN, a écrit un texte pour tordre le cou à un certain nombre de mythes très prisés à l’extrême droite, comme celui du complot et de la supposée domination des juifs. Marine Le Pen aurait pu en faire la position officielle du parti. Elle a préféré dire que ce texte n’engageait que son député. Par la suite, Aymeric Chauprade a été privé de la tête de la délégation frontiste au Parlement européen et de son poste de conseiller de Marine Le Pen pour les questions internationales. Le second signe c’est que dans les communiqués de presse du FN consécutifs à l’attentat du musée juif de Bruxelles, d’une part, et à l’attentat contre le supermarché Casher, d’autre part, il y a effectivement eu des condamnations mais les mots « antisémitisme » et « juif » n’ont pas été employés. Je suis peut-être maximaliste, j’en demande peut-être trop, mais, honnêtement, dans le contexte, ça n’aurait pas été de trop et ça aurait permis au FN de bien nommer les choses. Il y a un mot qui manque. C’est un peu comme si ça n’arrivait pas « à sortir »…

 

 

Le FN a quand même dénoncé les profanations des tombes juives de Sarre-Union…

Oui mais c’est un cas assez particulier : la figure dirigeante du groupe de profanateurs est quelqu’un de suffisamment confus dans sa tête pour être à la fois opposé au FN et mis en examen pour profanations de tombes juives, aggravées par un motif antisémite. Visiblement, le garçon n’avait pas des idées politiques extrêmement claires. Et sur les sites de la droite radicale on a vu fleurir des discours mettant en valeur que ce profanateur se réclamait de l’antifascisme. C’est aussi ça qui a précipité la prise de position. Pour une fois, le FN avait la possibilité d’expliquer qu’il y aurait un antifascisme antisémite.

 

 

Plusieurs enquêtes dans différents médias ont montré des tentatives au sein du Front National de séduire la communauté juive et de tirer un trait sur les propos antisémites de Jean-Marie Le Pen. Les déclarations de Jean-Marie Le Pen sont-elles attachées de façon indélébile à l’image du FN ?

Les déclarations des décideurs politiques ou associatifs mettent l’accent sur le fait que Marine Le Pen n’a, jusqu’à présent, pas condamné les propos de son père. Et c’est exact. Mais si la seule chose que l’on demande à Marine Le Pen c’est de prendre ses distances avec ce qu’a dit ou fait son père, il va arriver un moment où, à la disparition de son père, elle n’aura plus besoin de les prendre. On ne va tout de même pas lui demander de le faire une fois qu’il aura disparu. On ne pourra alors plus lui demander de prendre position sur les déclarations de Jean-Marie Le Pen puisqu’il n’en fera plus. Il semble qu’un jour Marine Le Pen ne sera plus comptable de ce qu’a dit son père et qu’à ce moment là, inévitablement la normalisation sera plus grande. Or la normalisation du Front national ne doit pas être jugée à l’aune de ce que Jean-Marie Le Pen a dit par le passé mais à l’aune de son programme d’aujourd’hui.

 

 

Y-a-t-il des indices susceptibles de montrer que la communauté juive française serait plus attirée par le FN de Marine Le Pen que par celui de son père ?

C’est très difficilement mesurable : les juifs sont peu nombreux en France et il n’y a pas de « fichier des juifs », il est donc très difficile de les sonder. Seule une enquête de l’Ifop a été publiée, il y a deux ans, sur les votes juifs: elle montre d’une part la diversité des votes des juifs, mais aussi qu’à aucun endroit les votes juifs sont suffisamment importants pour orienter la tournure d’un scrutin.

On peut seulement penser que le vote juif en faveur du FN a augmenté depuis l’arrivée à sa tête de Marine Le Pen. Mais aucune étude précise n’a pu en donner le niveau à l’heure actuelle. Pour des raisons historiques évidentes, Jean-Marie le Pen n’a jamais attiré sur son nom qu’une faible minorité d’électeurs juifs. Les choses ont évolué avec sa fille mais elle rassemble toujours sur son nom un pourcentage d’électeurs juifs largement inférieur à la moyenne nationale. D’ailleurs, quand on observe les scrutins qui se sont déroulés depuis la présidentielle de 2012 (municipales et européennes) dans des endroits où la communauté juive est assez structurée, comme à Sarcelles, à Créteil ou dans le 19ème arrondissement de Paris, on s’aperçoit que le vote FN est très très inférieur à la moyenne nationale.

 

 

Un responsable du CRIF aurait-il pu tenir de tels propos du temps de Jean-Marie Le Pen ?

C’est sans doute moins difficile maintenant qu’à son époque. Toute une génération de cadres frontistes est partie avec l’âge : il n’y en a plus aujourd’hui qui ont connu l’époque des ligues, de la seconde Guerre mondiale, des groupuscules néofascistes d’après-guerre… Tout ça est parti avec le temps. Sitôt qu’elle est arrivée à la présidence, Marine Le Pen a aussi pris des sanctions contre les cadres les plus radicaux de son parti. Ca rend les choses plus faciles, mais ça ne normalise pas pour autant le parti.



26/02/2015
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