Haim Casas, 34 ans, ne se doutait pas quand il était enfant à Cordoue, en Espagne, qu’un jour il deviendrait rabbin – particulièrement parce que sa famille était catholique.

Cependant, après qu’il a commencé à s’intéresser au judaïsme et à l’histoire juive dans son adolescence, il a reconnu les signes que la poussée qu’il ressentait vers la religion pouvait ne pas être complètement arbitraire.

Pendant qu’il grandissait, son grand-père maternel l’emmenait tous les dimanches visiter le vieux quartier juif de la ville, et regarder la fameuse statue de Maïmonide. Le côté maternel de sa famille était historiquement plus laïc, intellectuel, et méfiant de la hiérarchie catholique.

La famille nettoyait toujours la maison pour le week-end, et le samedi elle mangeait un plat que Casas a plus tard identifié comme du hamin (l’équivalent sépharade du cholentashkénaze, ce ragoût qui mijote toute la nuit et est mangé à Shabbat).

Comme la plupart des habitants de la région, Casas a été élevé comme catholique.

Cependant, des liens historiques au judaïsme sont jusqu’à ce jour toujours présents à Cordoue : pendant l’âge d’or des juifs en Espagne, la cité andalouse était le siège de l’étude et de la culture.

Ici, des philosophes juifs, des mathématiciens, des astronomes, des poètes et des écoles rabbiniques prospéraient sous le règne musulman, qui avait commencé en 711. Les 11e et 12e siècles ont été particulièrement une période de grands penseurs et de grands dirigeants, comme Hasdai Ibn Shaprut, Samuel Ha-Nagid, Moses Ibn Ezra, Solomon Ibn Gabirol, Judah Halevi et Moses Maimonide.

Haim Casas devant la statue de Maimonide à Cordoue, en Espagne. (autorisation)

Haim Casas devant la statue de Maimonides à Cordoue, en Espagne. (autorisation)

Mais quelques centaines d’années après, la situation des juifs en Espagne a radicalement changé après l’unification de l’Eglise catholique d’Espagne à la suite du mariage d’Isabelle de Castille avec Ferdinand d’Aragon.

Les juifs affrontant l’Inquisition étaient forcés de fuir, de se convertir, ou d’être tués, jusqu’à ce que finalement, l’expulsion de 1492 ordonne à tous les juifs de quitter l’Espagne, les forçant à fuir en Europe, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Amérique.

En conséquence, la communauté juive de Cordoue est morte, et aucun rabbin n’a grandi dans la ville depuis presque un millénaire. Mais Casas, maintenant étudiant rabbinique, compte renverser l’histoire.

Après son ordination en 2017 du Leo Baeck College à Londres, Casas prévoit d’être le premier rabbin né en Espagne depuis l’expulsion pour servir les 45 000 juifs (affiliés et non affiliés) qui sont aujourd’hui en Espagne.

Des liens vers un lointain passé juif

Cordoue a pris soin de préserver des signes tangibles du passé de l’Espagne, y compris d’anciennes mosquées et synagogues, et Casas avait conscience de la présence juive historique dans le pays.

« Les professeurs de Cordoue étaient conscients de la diversité de l’histoire espagnole. En fait, j’ai eu une enseignante, une nonne, qui affirmait descendre de juifs », a déclaré Casas au Times of Israël.

‘C’est juste un souvenir, un sentiment, un lien que vous avez’

Casas pense qu’il est probable que lui aussi ait des ancêtres Conversos (connus en hébreu comme des anusim, des juifs qui s’étaient convertis au christianisme à cause de l’inquisition, mais ont continué à pratiquer secrètement le judaïsme), mais il ne peut pas le prouver.

Un jour, alors qu’il travaillait au Mémorial de la Shoah, le musée de l’Holocauste de Paris, Casas a vu un fichier sur une famille dont le nom était « Casas », déportée à Auschwitz. Il a aussi remarqué que le nom de famille de son père, Sanchez-Leyva, pouvait dériver du nom juif fréquent Levy. (Casas utilise le nom de famille de sa mère.)

« C’est juste un souvenir, un sentiment, un lien que vous avez. Les personnes cachent leur judaïsme pendant des centaines d’années, donc vous ne pouvez trouver aucun document qui prouve que vous êtes juif », a expliqué Casas.

En conséquence, Casas a suivi une conversion officielle au judaïsme, sous la supervision du beit din de l’union européenne pour un judaïsme progressif.

Une rencontre chanceuse avec des répercussions à long terme

Le chemin de Casas vers la conversion et finalement vers l’école rabbinique a commencé en fouillant le judaïsme par des études autodidactes et un service communautaire.

Il a gagné un diplôme en droit commercial espagnol, mais ne l’a jamais utilisé, préférant initier et gérer un petit musée juif et un centre culturel à Cordoue, nommé Casa de Sefarad, avec un couple non juif qui collectionnait les objets juifs espagnols.

Haim Casas (à gauche) mène la havdalah à la Casa de Sefarad à Cordoue, en Espagne, en 2011. (autorisation)

Haim Casas (à gauche) mène la havdalah à la Casa de Sefarad à Cordoue, en Espagne, en 2011. (autorisation)

Casas a travaillé comme directeur de programme à la Casa de Sefarad entre 2005 et 2012. Pendant la même période, lui et quelques amis ont ouvert un restaurant juif, Casa Mazal, dans une maison du vieux quartier juif de la ville.

L’université locale et les programmes d’échange culturel l’appelaient en lui demandant d’accueillir les étudiants juifs en visite et d’autres touristes.

« J’ai commencé à organiser des évènements pour les fêtes et la vie juive à Cordoue, donc j’ai dû apprendre et étudier tout cela », a dit Casas de la nature autodidacte de sa première éducation juive.

Actuellement, des rabbins orthodoxes nés au Maroc dirigent la plupart des congrégations, et des rabbins étrangers visitent parfois les congrégations libérales du pays, qui sont financées par des immigrants sud américains d’origine ashkénaze.

Mais finalement, après avoir rencontré des Juifs de toute l’Andalousie, Casas a aussi cofondé une petite congrégation indépendante à Cordoue intitulée Beit Rambam (la maison de Maimonide en hébreu). La congrégation a depuis déménagé à Séville, et compte environ 50 membres.

« J’ai eu une crise en vivant à Cordoue. Me voilà, dans la capitale des juifs de l’âge d’or, mais qui n’a maintenant presque aucun juif. Mon éducation juive était trop basique, elle était basée sur ce que j’avais appris par moi-même », a raconté Casas.

Arrive l’entrepreneur pédagogique juif américain Peter Geffen, qui est arrivé juste au bon moment. Tous deux se sont rencontrés à la synagogue de Marrakech, au Maroc, puis à nouveau à Cordoue à la Casa de Sefarad peu après.

Haim Casas mène le service à la synagogue El Azama, à Marrakech, au Maroc, en 2015. (autorisation)

Haim Casas mène le service à la synagogue El Azama, à Marrakech, au Maroc, en 2015. (autorisation)

« L’année suivante, j’ai invité Jaime [le nom de Casas à l’époque] à rejoindre Kiyunim [l’année de césure du programme financé par Geffen, qui est basé à Jérusalem et implique de voyager dans des communautés juives dans le monde] à Sofia [en Bulgarie] pour qu’il puisse voir une communauté sépharade vraiment active.

Quand nous nous sommes assis pour le déjeuner ce jour-là à Sofia, j’ai senti que cet homme est fait pour devenir le premier rabbin né en Espagne depuis 500 ans, et je le lui ai dit. Il était choqué par mon idée, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais j’avais à l’évidence touché un point sensible », a déclaré Geffen au Times of Israël.

‘J’ai toujours vu le clergé et l’institution comme une partie du problème, pas la solution’

Malgré sa soif de connaissances, Casas n’avait jamais considéré devenir un rabbin.

« J’ai toujours vu le clergé et l’institution comme une partie du problème, pas la solution », a déclaré Casas.

« Mais Peter m’a convaincu que je devais devenir rabbin pour changer la vie juive en Espagne. Je savais que je n’étais pas un vrai expert. J’étais simplement un expert parmi les ignorants, ce qui était quelque chose que je ne voulais pas être. J’en suis venu à comprendre que devenir un rabbin serait un moyen pour une finalité, pas la finalité elle-même », a-t-il ajouté.

Une vision pour le futur de la vie juive en Espagne

Casas a pensé aller à l’école rabbinique aux Etats-Unis, mais après avoir rencontré un rabbin travaillant pour l’union européenne du judaïsme progressif qui lui a parlé du Leo Baeck College, il a conclu qu’étudier en Europe serait une meilleure préparation au travail avec des juifs européens.

Dans le cadre de sa formation rabbinique, Casas jongle avec les placements dans les congrégations dans trois pays différents : la congrégation Gil à Genève, Suisse, Kehilat Kedem à Montpellier, France, et Atid à Barcelone, Espagne.

Haim Casas enseigne à la congrégation Atid de Barcelone, en Espagne, en 2015. (Crédit : Antonio Moreno)

Haim Casas enseigne à la congrégation Atid de Barcelone, en Espagne, en 2015. (Crédit : Antonio Moreno)

Bien que Casas ne sache pas encore où son premier emploi de rabbin sera ordonné, il attend avec impatience de réaliser son rêve de servir la communauté juive espagnole.

Il aura cependant besoin de soutien (financier et autre) pour son approche en trois volets de la revitalisation de la communauté juive espagnole.

‘Je prévois des programmes pédagogiques et des publications pour retrouver des souvenirs juifs’

Son objectif initial va être de développer les communautés libérales et progressives en Espagne. Il prévoit aussi de lier les espagnols en général aux aspects juifs de l’histoire et de la culture espagnoles.

« Je prévois des programmes pédagogiques et des publications pour retrouver des souvenirs juifs », a déclaré Casas.

Finalement, il veut élever l’histoire sépharade dans l’histoire juive en faisant venir des étudiants d’Israël et du monde entier en Espagne pour des programmes pédagogiques similaires à ceux des adolescents juifs allant en Pologne pour apprendre sur l’Holocauste et l’histoire des juifs d’Europe de l’Est.

Il est trop tôt pour connaitre les effets de la nouvelle loi du retour des juifs sépharades

Bien qu’évidemment au courant de la nouvelle loi offrant la nationalité espagnole aux juifs avec des ancêtres sépharades, Casas doute qu’il y aura un afflux immédiat de juifs dans le pays.

Il peut y avoir environ 3,5 millions de juifs dans le monde avec des liens historiques à l’Espagne, mais Casas doute qu’il y a assez de facteurs pour attirer un grand nombre de juifs en Espagne pour le moment.

« Aussi importante que soit la loi, beaucoup dépend de l’économie espagnole – même pour des juifs qui voudraient quitter l’Amérique du Sud », a-t-il déclaré.

Le roi Felipe VI d'Espagne pendant une cérémonie d'hommage aux juifs sépharades, expulsés d'Espagne en 1492 par les rois catholiques, au palais royal de Madrid, le 30 novembre 2015. (Crédit : AFP/PIERRE-PHILIPPE MARCOU)

Le roi Felipe VI d’Espagne pendant une cérémonie d’hommage aux juifs sépharades, expulsés d’Espagne en 1492 par les rois catholiques, au palais royal de Madrid, le 30 novembre 2015. (Crédit : AFP/PIERRE-PHILIPPE MARCOU)

« Certains candidatent pour des raisons sentimentales, d’autres parce qu’ils veulent un passeport européen ‘au cas où’, et d’autres veulent une porte d’entrée vers Schengen », a-t-il ajouté, faisant référence à la zone impliquant 26 pays européens qui ont mutuellement décidé d’éliminer les passeports et les contrôles d’immigration à leurs frontières communes.

Il est simplement trop tôt pour savoir quel sera l’impact final de la nouvelle loi sur la démographie juive espagnole.

« Pour moi, le défi de la mission consiste à trouver comment accueillir à la fois les juifs déjà en Espagne, ainsi que ceux qui viennent. C’est aussi d’accueillir le grand nombre de gens qui ne sont pas juifs mais sont intéressés par le judaïsme », a déclaré Casas.

Eviter un ‘Disneyland sépharade’

Casas sera ordonné en tant que rabbin progressif, mais il prévoit de travailler de manière post-dénominationelle. Il pense qu’un cadre ouvert fournit les meilleures possibilités pour agrandir la communauté.

Haim Casa, né à Cordoue, recevra son ordination rabbinique du Leo Baeck College en 2017. (Crédit : Przemek Dudek)

Haim Casa, né à Cordoue, recevra son ordination rabbinique du Leo Baeck College en 2017. (Crédit : Przemek Dudek)

« Je ne suis pas concentré sur la terminologie. Il s’agit d’aider les gens à trouver un espace accueillant, » a-t-il noté.

Le futur rabbin prévoit d’incorporer des liturgies sépharades traditionnelles et de la musique, ainsi que le ladino, dans des pratiques religieuses progressives. Il pense qu’il y a aussi une place pour les influences espagnoles générales, comme la musique flamenco.

Il compte être authentiquement sépharade et espagnol, et dans le même temps libéral et moderne, les yeux rivés autant sur le futur que sur le passé.

La dernière chose que veut Casas est de créer un « Disneyland sépharade » exploiteur qui attirerait les touristes curieux mais ignorerait les besoins des juifs vivant aujourd’hui en Espagne.

« L’idée est que la communauté juive espagnole préserve son héritage, mais redevienne en même temps une force créative et dynamique du monde juif », a-t-il déclaré.

Pour sa part, Geffen est confiant et pense que Casas est la personne idéale pour réaliser cette vision.

« Je pense que Haim peut devenir le lien entre le jeune 21e siècle et le glorieux et incomparable passé juif espagnol. Sa propre histoire attirera beaucoup d’autresanusim, et le résultat final sera un nouveau monde juif émergeant tel un phœnix de la mort », a-t-il déclaré.